• les solitaires - 4

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    les solitaires - 3

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    Jeudi 25 Juin 2015 à 22:57

    Le brouillard s’arrachait lentement de la terre. Il montait en volutes qui ne permettaient pas de voir au-delà de sa limite. Derrière tout était flou, indistinct. Il cherchait à percer ce voile, pourtant, sur le point d’y parvenir et d’enfin mettre un nom sur ces formes, il s’épaississait à nouveau, son écran devenait opaque et le rejetait une fois de plus, lui interdisait l’accès de son autrefois, à cette part de lui-même, d’avant. Il n’avait plus comme horizon que ce passé immédiat qui s’étriquait sans cesse. Sa mémoire cloisonnée ne l’autorisait plus à faire des ponts, de construire des liens entre les évènements. Les parcelles de souvenirs voguaient, éparses, sur une mer sans limites, aucune corde, aucun lien ne les liaient maintenant. Son esprit ne les maitrisait plus. Ce qui constituait la continuité d’une vie s’émiettait doucement et prenait des directions incontrôlables, comme une armée sans chef voit ses soldats partir à la débandade. Ces parcelles, telles autant de cellules, ressemblaient à sa chambre, il y avait surement des portes mais il n’en trouvait pas les clefs. Un mur le renvoyait à un autre mur.

    Les écharpes de brumes lui laissaient soudain entrevoir l’esquisse d’un visage…ce nez…ces longs cheveux….son cerveau faisait des efforts inouïs, si proche du but, Il suffirait d’un tout petit élément supplémentaire et il allait pouvoir retrouver ce nom qui se refuse à lui, s’amuser de ne l’avoir pas découvert plus tôt. Évidemment c’était…c’était…...mais de nouveau le brouillard se faisait plus dense. Ce trait, qui aurait suffit à le percer s’estompait doucement, le laissant désemparé, seul.

    Dans cet univers cotonneux son cerveau douloureux cherchait son chemin, un anneau où s’ancrer, comme l’alpiniste suspendu à un piton cherche la voie dans la paroi, il fouillait des limbes, des espaces qui soudain se refermaient à peine entrouverts. Il était pris dans un vide, sa conscience, prisonnière de sa boite crânienne, ne lui autorisait aucune évasion. Aucune issue. L’obstacle est là, face à lui sans cesse….

    Protozoaire. Le mot lui revient en mémoire. Protozoaire. Il va être phagocyté, dissous dans le plasma de cet être unicellulaire. Il cherche à crever cette paroi qui le retient prisonnier, il s’agite, il crie, il donne des coups…soudain la paroi cède, livre passage…il se rue dans la brèche vers la délivrance. Mais,…que se passe t’il ? Il est à l’intérieur d’une nouvelle cellule. Il tombe à genoux, son hurlement se bloque dans gorge, il presse son visage contre ses poings, …la paroi est là, lisse et grise…combien de cellules encore ? Métazoaire…son être est prisonnier d’un nombre incalculable de cellules, comme dans une prison multiple, comme ces miroirs positionnés face à face et qui reproduisent la même image à l’infini.

    Le brouillard revenait à nouveau. Cette forme, animée par des milliers de gouttelettes, semblait douée d’une vie propre. Le souvenir revenait, ces yeux ces traits qu’il ne parvenait pas à préciser. Il suffirait d’un petit détail, un son peut-être… il tentait de reconstituer ce puzzle mais il y avait trop de vides, trop d’espaces entre ces ilots, qu’il ne parvenait pas à combler. Le visage s’éloignait au fur et à mesure qu’il s’efforçait de s’en approcher. Il tendait la main pour le saisir, il se dérobait à lui, redevait flou, s’évanouissait….

    Epuisé, désespéré, ses forces l’abandonnèrent, la maladie avait pris le dessus,  il s’abandonna et sombra dans l’inconscience.

    Bernard LESAGE

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